Savitri la vaillante
Lauréats du dispositif sur la saison 24/25, l’autrice Penda Diouf et le conteur et artiste de rue Olivier Villanove se sont rencontrés, ont collaboré et exploré ensemble les possibles d’une adaptation de Savitri la Vaillante, un conte du Mahâbhârata qui retrace le parcours d’une princesse en quête de sa place dans le monde. Cinq semaines de recherche et une première présentation au festival Chalon Dans la Rue, en juillet 25, constituent les prémices de la création.
Note d'intention
Savitri – une quête d’amour et de liberté dans l’espace public
Ce récit ancien parle d’émancipation, de désir, de l’élan vital qui anime l’entrée dans l’âge adulte. Que reste-t-il aujourd’hui de cette fougue ? Comment les adolescent.es pensent-ils l’amour ? Le futur ? L’idée d’une vie choisie plutôt que subie ?
Pensé pour un auditoire à partir de 15 ans, ce spectacle s’inscrira dans l’espace public, dans un paysage, un lieu, un territoire. Cette dimension géographique influencera l’écriture, les modes de jeu, la dramaturgie. Penda Diouf et Olivier Villanove souhaitent jouer des glissements entre fiction et réel, entre les figures du conte et les récits de vie des interprètes eux-mêmes. Penda Diouf a commencé à écrire pour la présentation au festival Chalon dans la rue en juillet 2025.
Nous avons fait le choix de placer Savitri aujourd’hui, dans notre monde.
Je suis Savitri, fille de ce temps fracturé où les écrans nous séparent plus qu’ils ne nous unissent.
Chaque matin, je me réveille avec ce poids sur mes épaules : les notifications qui explosent, les images de guerre qui défilent, les cris de détresse qui traversent les océans numériques. On me dit que je devrais me contenter de swiper, de liker, de consommer.
Mais comment pourrais-je fermer les yeux quand je vois mes sœurs en Iran qui se battent pour leur
liberté ? Quand je vois l’Ukraine saigner, quand je vois Gaza pleurer, quand je vois le Congo, le Soudan et Haïti, comment pourrais-je rester silencieuse quand la planète brûle ? Je refuse de baisser les bras. Dans les métros bondés, je vois des visages fatigués, des rêves brisés par la précarité. Dans les universités, je vois des étudiants qui s’endettent pour un avenir incertain. Dans les hôpitaux, je vois des soignants épuisés qui continuent de se battre.
Mes amis me disent : “Savitri, tu ne peux pas sauver le monde.” Mais ils ne comprennent pas. Il ne s’agit pas de sauver le monde, il s’agit de refuser de le laisser mourir. Il s’agit de porter en moi cette flamme qui refuse de s’éteindre. Je milite, je manifeste, je vote, jécris, je parle.
Pas parce que je crois naïvement que mes actions vont tout changer du jour au lendemain, mais parce que le silence est complice. Parce que chaque geste compte. Chaque voix compte. Chaque cœur qui bat pour la justice compte.
Oui, je pleure devant l’ampleur de la tâche. Je me sens si petite. Mais je me relève. Car je porte en
moi l’héritage de toutes ces femmes qui ont refusé de se taire avant moi. Je suis Savitri de 2025 et
ma bataille n’est pas contre la mort comme celle de mon ancêtre mythique. Ma bataille est contre
l’indifférence, contre la résignation, contre ceux qui voudraient nous faire croire que “c’est comme ça” et qu’on ne peut rien y changer.
Mon amour pour ce monde blessé est ma force. Ma colère face à l’injustice est mon moteur.
Car être Savitri aujourd’hui, c’est choisir l’espoir quand tout pousse à la tristesse. C’est choisir l’amour quand tout pousse à la haine. C’est choisir la vie, encore et toujours, même quand elle semble nous échapper.
Penda Diouf, juillet 2025.
Créer des images par les mots, par les corps en mouvement, par un paysage révélé et faire naître
un récit à plusieurs registres, où la parole, le geste et la matière s’entrelacent.
J’ai le désir d’être face au public en conteur, dans une adresse directe, au présent. Je viens en mon nom, parce que j’ai une histoire à lui raconter. Mais cette parole, si elle s’inscrit dans l’écriture théâtrale de Penda Diouf appelle aussi des corps, des présences, des incarnations physiques qui déploient le récit au-delà du langage.
C’est là qu’intervient le duo circassien de Garance Hubert-Samson et Dimitri Rizzello. Ils apportent une dimension essentielle : le risque, l’équilibre et le vertige. Leur pratique est une métaphore vivante du mythe de Savitri et Satyavan : porter et être porté, s’élever et chuter, se confronter à la fragilité de l’instant. Le cirque engage des forces vitales – le poids, la gravité, la chute possible – qui rejoignent l’histoire où la mort rôde sans cesse. Par leur art, Garance et Dimitri inscrivent la fable dans la chair, et lui donnent une intensité sensorielle que les mots seuls ne peuvent atteindre.
Leur relation intime – à la scène comme à la ville – permet de brouiller les frontières entre réalité et fiction. Le spectateur ne saura jamais tout à fait où se situe la vérité : dans l’histoire de Savitri et Satyavan, ou dans celle de Garance et Dimitri. Ce trouble m’intéresse, car il ouvre un espace où la légende devient vivante, incarnée, actuelle.
Pourquoi un trio ?
Parce qu’ensemble, nous tissons trois écritures :
- Celle de la parole, qui raconte.
- Celle des corps, qui incarnent.
- Celle du paysage, qui révèle et accueille.
Le conteur et les circassiens ne se répondent pas, mais se complètent : là où ma voix construit des images mentales, leurs gestes les arrachent au réel, les donnent à voir et à ressentir. Ce dialogue forme un dispositif scénique organique : la narration, la performance circassienne et l’univers plastique ne sont pas des couches juxtaposées, mais un seul mouvement, une seule respiration. Ainsi, être en trio, c’est faire entendre une polyphonie. C’est donner au spectateur la possibilité d’entrer par l’écoute, par la vue, par le frisson.